On a tendance à dire que la musique adoucit les mœurs, et c’est bien souvent le cas, à quelques exceptions près, et c’est sur ces exceptions que je vais m’arrêter quelques instants.
Qu’il est bon, dans les transports en commun, d’oublier le monde qui nous entoure, de se mettre un casque sur les oreilles, et de laisser sa pensée divaguer au fil de la musique, en laissant passer les avaries, les incidents, les voyageurs malades et autres mendiants !
On peut, au choix, se mettre un truc doux, du classique, de la pop acidulée, de la new wave progressive, fermer les yeux et méditer sur l’absurdité du monde, le karma et la patience récompensée, même si la petite vieille à nos pieds est carrément en train de vider sa vessie artificielle sur tes groles.
Ou bien on peut se mettre un bon rock, du rap, du vegetarian progressive grindcore ou de la lounge, fermer les yeux et laisser le son nous emporter, nous et nos rancœurs au Valhalla, et tant pis si personne ne comprend quand on se fait un solo d’air-guitare ou un passage de batterie sur les cuisses.
Mais le plus étonnant, c’est d’ouvrir les yeux, et de voir à quel point la musique influence la vision que l’on peut avoir du monde. Évidemment, c’est le cas dans la vie de tous les jours, un petit morceau de trip-hop quand on bosse : fond sonore et relaxation assurés.
Le métro apporte tout de même un élément extraordinaire, des gens, et pas n’importe lesquels : tous pressés, sur eux, et absolument pas dans l’optique de plaire à qui que ce soit. L’individualisme à son paroxysme : tout pour ma gueule, et tant pis si t’as pas été suffisamment rapide pour t’assoir avant moi (voire, si t’as pas réussi à te placer au bon endroit sur le quai pour certains…).
Et au milieu de cette cohue, de ces besoins irrépressibles de se déplacer, de toutes ces particules agitées d’un mouvement brownien propres à elles seules, j’observe.
Bien entendu, mon but est le même que tous ces autres zombies. Je ne suis pas là pour admirer le paysage, je suis là pour bouger, mais quitte à perdre du temps, autant le passer de manière intéressante et le moins ennuyeuse possible (je reviendrai peut-être sur les autres moyens que j’ai trouvés de passer le temps dans le train, pas cette fois cependant… je sais que tu trépignes d’impatience à me lire disserter sur cet autre sujet, mais il faudra te contenter de ce que je te propose cher lecteur).
Ainsi, je livre ici une petite sélection de musiques ou de genres, et leurs effets. Il est fort probable que cette liste évoluera en fonction de mes trouvailles futures, qui sait…
Tout d’abord, je vais commencer par ce que l’on fait tous dans les transports : la marche de quai à quai. Bien chiant, rien d’intéressant, du monde partout. Pour ça, j’ai « The Salmon Dance » des « Chemical Brothers. » Comme j’ai pris l’habitude de marcher vite, le pas se cale direct sur le tempo, c’est ma vitesse de croisière et on peut oublier tout ce qui se passe autour sans problème, surtout que si l’on a déjà vu le clip, les couloirs encrassés se transforment en aquariums géants presque tout de suite, c’est très dépaysant, quoiqu’un peu fatigant.
Plus subtil, « Pompeii » de « E.S. Posthumus, » le rythme est plus lent, mais on transforme un banal voyage en une aventure épique, où chaque compostage de billet aurait sa place sur une plaque de marbre, au fronton d’un temple dédié à Hermès.
« Diferente » de « Gotan Project » donne une sorte de grâce dans le déplacement. Tous les obstacles sont facilement identifiés et évités, il suffit de suivre le rythme.
Dans la liste, on peut aussi ajouter « Fuel » de « Metallica, » « Knights of Cydonia » de « Muse, » « Let It Rock » de « Kevin Rudolf » et « Lil’ Wayne. » Et la liste est loin d’être terminée.
Mais c’est bien dans la rame que tout se joue, où l’exiguïté des lieux et la promiscuité nécessaire ont des effets particulièrement impressionnants.
Ainsi, « Pruit Igoe » de « Philip Glass » démarre lentement, et il faut tendre l’oreille pour distinguer un son, mais passée l’introduction un peu longuette, les trompettes entonnent leur chant, et d’un coup, la ville entière s’anime. Le long de la Seine, les voitures passent à des vitesses impossibles, leurs phares ne laissent que des traces floues sur la rétine ; les immeubles font des kilomètres de haut, finissent dans les nuages ; et si l’on s’approche un peu, il est aisé de distinguer le petit train électrique dans lequel on se trouve et qui suit son parcours sans demander son reste, impassible.
« Intermission » des « Scissor Sisters » fait voir tout le monde comme un bon pote, on ne retient que les faces qui sourient, on oublie celles qui font la gueule comme à l’accoutumée.
« Sad But True » de « Metallica, » non content de donner envie de constamment refaire la partie de batterie sur tout ce qui passe à portée de main, montre aussi les côtés plus sombres de nos coreligionnaires, et l’espace d’un trajet, une vague de désespoir peut s’abattre sur soit pour peu que l’on soit un peu déprimé, ou que le [temps|tag:Météo] soit un peu gris.
« Burst Generator, » toujours des « Chemical Brothers » est peut-être le meilleur exemple : le crescendo initial pousse une vérité cachée à se révéler, et quand le rythme s’est bien installé, celle-ci se dévoile à nos yeux. Toutes ces petites individualités jusqu’alors contradictoires, autonomes et antagonistes s’amalgament, ne font plus qu’une, et pendant presque 6 minutes, un nouveau plan se dessine. Ce ne sont plus des employés de bureau qui n’ont qu’une hâte, c’est de sortir de ce train bondé, mais ce sont des hommes et des femmes qui, de par leurs choix personnels au cours de leur vie, se sont retrouvés tous et au même moment, dans le même wagon, à partager cet instant ensemble.
Et moi, au milieu d’eux, je souris enfin.